Se baigner dans la Seine en 2025 : une victoire à 10 milliards… encore fragile
C’était une promesse devenue symbole. Un siècle après l’interdiction de baignade et trente-cinq ans après l’engagement de Jacques Chirac, la Seine est officiellement rouverte au public depuis le 5 juillet 2025. Trois sites aménagés accueillent désormais les Parisiens et les touristes pour une baignade surveillée dans le fleuve. Une révolution environnementale, fruit de décennies de travaux colossaux… mais qui reste sous haute vigilance. Le point sur le sujet avec Jean Fixot de Chimirec !
Un chantier titanesque à plus de 10 milliards d’euros
La baignade dans la Seine n’aurait jamais été envisageable sans une transformation en profondeur de son écosystème. Depuis les années 1990, le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne (SIAAP) a investi plus de 9 milliards d’euros dans des infrastructures de dépollution. À cela s’est ajouté, en 2016, le lancement du « plan baignade » : 1,4 milliard d’euros supplémentaires mobilisés par l’État et les collectivités pour assainir le fleuve avant les Jeux olympiques.
Ces efforts ont permis de moderniser les stations d’épuration, de raccorder quelque 2 000 nouvelles habitations et péniches au réseau d’eaux usées, et de construire d’immenses bassins de rétention. Celui d’Austerlitz, par exemple, peut contenir jusqu’à 50 000 m³, soit l’équivalent de vingt piscines olympiques. Il a pour but d’éviter que les pluies diluviennes ne forcent le système unitaire d’assainissement à déverser ses surplus directement dans la Seine, comme cela reste parfois le cas.
80% de la Seine dépolluée… en surface
Les résultats sont visibles : 80 % de la Seine serait aujourd’hui considérée comme propre, selon la préfecture d’Île-de-France. L’Agence Régionale de Santé effectue des prélèvements quotidiens pour mesurer la présence de bactéries fécales, en particulier Escherichia coli et les entérocoques. Tant que les seuils — 1 000 unités pour E. coli, 400 pour les entérocoques — ne sont pas dépassés, la baignade est autorisée. En cas de pluie importante, les sites sont fermés par précaution dès le lendemain.
Mais pour certains experts, le tableau est encore loin d’être idyllique. Michel Riottot, président d’honneur de France Nature Environnement Île-de-France, alerte sur les virus et polluants chimiques qui ne sont pas encore mesurés systématiquement. Gastro-entérites, hépatites, affections cutanées : les risques ne sont pas nuls, surtout en période d’instabilité météorologique.
Un été sans jour J, mais pas sans défi
La réouverture de la baignade au public fait suite à celle, symbolique, de l’été 2024, lorsque Anne Hidalgo, Tony Estanguet et d’autres responsables s’étaient jetés dans la Seine devant la presse internationale à l’occasion des Jeux olympiques. Les images avaient marqué les esprits, bien que les épreuves en eau libre n’aient pu se tenir que cinq jours sur onze, à cause de pluies diluviennes et d’un taux de pollution trop élevé.
Cet été, pas de contrainte de calendrier : les drapeaux installés sur les berges signalent en temps réel si la baignade est autorisée. C’est une première en France, et un signal fort d’une reconquête urbaine et écologique. « On ne jette pas une pièce en l’air, on s’appuie sur des données scientifiques », rappelle Pierre Rabadan, adjoint aux sports à la mairie de Paris.
Une renaissance… surveillée
Malgré les réserves, la Seine retrouve une certaine biodiversité : 36 espèces de poissons y ont été recensées, contre seulement 4 en 1970. La capitale n’entend pas s’arrêter là. Elle envisage désormais d’attribuer une personnalité juridique au fleuve, à l’instar du Whanganui en Nouvelle-Zélande, pour renforcer sa protection environnementale.
Reste une certitude : si la baignade dans la Seine est désormais une réalité, elle le doit à un effort colossal, à la croisée de la politique publique, de la technologie et de l’écologie urbaine. Mais c’est aussi une victoire fragile, soumise aux caprices du ciel et à la rigueur des mesures sanitaires. Plonger dans la Seine, en 2025, c’est autant une prouesse technique qu’un test permanent de résilience environnementale.